Il y a un an

Kai déposa la caisse pleine de morceau de viande, pour les fauves, jetant un regard empli de désespoir à Carlos, le gestionnaire. Il ne comprenait pas pourquoi il était convié à passer récupérer le matériel pour faire les décorations d’Halloween. Il n’était pas familier avec la coutume – oui, il avait compris qu’il fallait mixer des couleurs sombres, sans oublier l’orange, et mettre des objets qui faisaient peur au commun des mortels – il ne saisissait juste pas l’utilité d’une telle festivité, qu’il ne fêtait même pas. Kai n’avait qu’un déguisement, qui se constituait de sa fourrure tachetée, qu’il revêtait à certains moments. Il n’irait pas se grimer le visage pour faire plaisir aux clients. Même s’il ne doutait pas que les pitres du cirque l’inviteraient à enfiler le costume d’un quelconque monstre. Kai irait, simplement, se cacher dans un coin en attendant que les ferveurs de ce jour s’arrêtent, comme il le faisait depuis quelques années maintenant. « Non, ne me fait pas ce regard, tu sais que ça ne le fait pas avec tes yeux bridés. » Kai grimaça et abaissa la tête, de mauvaise humeur, de se voir confier ainsi la tâche des courses. Il préférait rester sur le site du cirque et être plus utile, ou entretenir ce sentiment. Il alla finir de s’occuper des fauves, leur offrant la pitance du jour, câlinant ses préférés et recevant sa dose d’affection de la part des grands félins.

Finalement, il revint vers Carlos, prenant les clés de la camionnette et la carte, affiliée au compte du cirque. Il demanda, brièvement, s’il n’avait pas changé d’avis, ce à quoi Carlos répondit. « C’est toujours toi. Mais vu que tu te plaignais de ne pas être à la hauteur de la tâche, j’ai demandé à la nouvelle de t’accompagner. » Kai hésita longuement entre une grimace, ou rester la bouche ouvert, votant pour la dernière option, tandis que ses doigts se refermaient sur les clés froides. « Elle t’attend au véhicule. » Il échappa une insulte en indonésien, ce à quoi Carlos, même en ignorant le terme exact, lui donna une tape sur la tête. « Oui. Je sais. Poli. » Poli, il le serait, sans aucun problème, il était né à une autre époque, où les règles étaient encore plus vigoureuses que maintenant. Et même quand il était au service de gens peu louables, Kai gardait son respect pour les autres. Ce pourquoi il se montrait plus réticent, c’était que cette nouvelle, Agnès, il ne l’avait pas encore cerné. Elle ne paraissait pas méchante, mais le fauve avait pris l’habitude de se méfier des apparences. L’habit ne faisait pas le moine. Ah.

Il se rendit donc jusqu’au véhicule, après un bref passage à sa caravane, où il se rafraîchit le visage et changea de pull, pour en prendre un noir, et beaucoup plus propre. Il resserra son peau d’animal autour de son cou et retrouva Agnès. Il la regarde quelques secondes, avant de lui indiquer, d’un signe de tête, qu’ils pouvaient y aller. Il monta dans le véhicule et enclencha le moteur.

Présent

Kai avait fait la moue, quand Carlos était venu le trouver, avec un grand sourire, faisant tourner les clés du van sur son doigt. Il venait de remplacer les ampoules, à l’intérieur du chapiteau, qui avaient rendu l’âme, un peu de sueur marquant son front, preuve de l’effort physique qu’il venait de faire –les échelles ne montaient pas assez haut, cela se composait de lourdes structures de métal qu’il fallait faire coulisser jusqu’en bas, puis les remonter. « Aaaah, mon chinois, tu es prêt pour faire un tour en ville ? » Kai était méfiant, quand on l’approchait avec ce ton mielleux et il eut la confirmation de ses soupçons quand il fut désigné, pour aller chercher le matériel pour les décorations d’Halloween. Il expliqua qu’il y était déjà allé l’année passée, qu’il devait encore nourrir les fauves. Mais Carlos ne l’entendit pas de cette oreille, lui donna les clés et la carte de banque, le poussant presque jusque l’extérieur du chapiteau. « Allé, ne fais pas ton difficile ! » Kai, pour toute réponse, grogna. Il préférait, de loin, rester sur le complexe du cirque et ne pas s’aventurer en ville. Mais parfois, il y avait ces obligations, de se confronter à la grande civilisation, qu’il ne supportait que difficilement. Il s’assura que son écharpe tenait toujours bien et se rendit jusqu’au van blanc.

Quelle ne fut pas sa surprise quand il reconnut Agnès, qui l’attendait. Kai eut un petit sourire, regardant ses pieds pour chasser son envie de rire, avant de rentrer dans le véhicule. « C’est bizarre, j’ai une impression de déjà vu, pas toi ? » Il abaissa la fenêtre du côté conducteur, ajusta le volant, le siège et le rétroviseur, avant d’enclencher le moteur, plissant le front en entendant le vacarme de la mécanique qui se lançait. Oui, il aurait tellement préférer nourrir les animaux, que de se coltiner une tournée en ville. Heureusement qu’il y avait Agnès, cela rendrait la course moins pénible.

Agnès n'avait pas vraiment réfléchi quand elle avait décidé de rejoindre le cirque. Ça ne faisait pas longtemps qu'elle avait perdue l'homme qu'elle aimait et elle en avait juste assez. Assez de voir mourir tous ceux auxquels elle tenait. Alors quand elle avait appris l'existence de cette petite communauté d'êtres tout aussi maudits qu'elle, elle ne s'était posée aucune question. Elle s'était juste dit que ce devait être un immense soulagement que d'être entourée de gens qui comprenaient ce qu'elle avait traversé jusque là. De ne plus être seule. Pourtant, ce n'était pas la chose la plus facile pour Agnès, créer des liens. La blonde ne savait pas exactement ce qu'elle avait espéré, cependant c'était beaucoup plus dur de s'intégrer à cette espèce de famille dysfonctionnelle qu'elle ne l'avait imaginé. Surtout quand on prenait en compte son caractère timide et discret. Tant pis. Elle n'était pas là depuis longtemps. Pour l'instant, elle se contentait de s'adapter au quotidien de la troupe et de remplir ses tâches le mieux possible. Elle n'était pas excellente à ce qu'elle faisait, avait même tendance à faire quelques erreurs mais elle apprenait vite. Ce matin, comme celui de la veille, elle aidait à préparer le repas du midi. C'était une tâche qui lui plaisait, à la jeune fille. C'était habituel et elle avait plus qu'eu le temps de développer certains talents culinaires au fil des décennies. Avec un peu de chance, ça serait son affectation quotidienne.

Ou pas. « Carlos veut te voir, il a besoin de toi. » Avec un hochement de tête, elle signifia au gosse venu la chercher qu'elle avait pris note de son message et qu'elle rejoindrait Carlos. Elle finit d'éplucher la pomme de terre qu'elle tenait avant de se laver les mains et de quitter le coin cuisine, se demandant comment elle pouvait être plus utile sur le moment. Ce n'était pas comme si elle était qualifié pour donner un coup de main en toutes circonstances. Quand, finalement, elle apprit ce qu'on attendait d'elle, Agnès se détendit. Les courses, elle pouvait gérer. Pour Halloween, encore plus facilement. Même si elle avait été élevé dans la religion catholique, elle affectionnait cette fête. Les décorations, l'ambiance, les histoires d'horreur et les déguisements tous plus imaginatifs les uns que les autres l'amusaient énormément. C'était une distraction bienvenue alors que les nuits se faisaient de plus en plus longues et les journées plus froides. Un sourire ravi sur les lèvres, la française attendit donc sagement près de la camionnette, comme on le lui avait demandé. Son compagnon de mission ne tarda pas à arriver et son sourire s'estompa. Kai. De ce qu'elle avait vu, l'homme était aussi réservé qu'elle-même. Mais ce n'était pas ce qui la dérangeait. Ce qui la dérangeait, c'était la surveillance discrète dont elle se savait l'objet. Depuis qu'elle s'était intégrée à la troupe, elle se sentait régulièrement observée et, à chaque fois qu'elle avait cherché à trouver la source de cette désagréable impression, elle était tombée sur le regard sombre de l'asiatique. Elle se doutait bien que les membres de ce genre de communauté avaient tendance à se montrer méfiants envers les étrangers, mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander combien de temps ce manège durerait. Bah, elle n'avait pas vraiment le choix : elle devrait prendre son mal en patience. Docile, elle grimpa sur le siège passager après que Kai lui ait fait signe de monter en voiture. Une fois sa ceinture bouclée, elle laissa le silence s'installer dans l’habitacle. Faire la conversation, c'était vraiment pas son point fort.


Agnès venait de finir de nettoyer les box des chevaux quand un des enfants qui vivaient au cirque était venue la trouver. « T'es de corvée de décoration pour Halloween, c'est Carlos qui l'a dit. » Si c'était Carlos qui l'avait dit alors... D'autant plus que ça ne la dérangeait pas le moins du monde d'aller effectuer ce genre de courses. La blonde se permit tout de même de passer dans sa caravane pour se laver les mains et se changer rapidement dans des vêtements propres. Elle était sure que personne ne lui en voudrait de prendre soin de son hygiène corporelle. Un peu inquiète de faire patienter quiconque serait son compagnon et son chauffeur. Finalement, il s'avéra qu'elle s'était dépêchée pour rien. Bah, elle préférait être celle qui attendait que celle qui faisait attendre. Quand elle aperçut Kai s'approcher, elle eut un léger éclat de rire. Qui d'autre ? « C’est bizarre, j’ai une impression de déjà vu, pas toi ? » Le sourire de la française s'élargit comme elle s'installait sur le siège passager. Si la situation était en effet familière, il n'y avait rien du malaise qui existait l'année dernière entre elle et l'asiatique. Au contraire, Agnès était bien contente de l'avoir pour compagnie aujourd'hui. « Il faut croire qu'on a fait du bon boulot la dernière fois. » Elle avait dit ça comme une sorte de plaisanterie et, en un sens, c'en était une. Elle ne savait pas si Kai en était conscient, mais en bon nombre des membres de la troupe spéculaient sur leur relation et tentaient de les rapprocher. Elle ne serait pas étonnée que Carlos avait confié cette tâche à Kai autant pour l'embêter -ce n'était un secret pour personne qu'il n'aimait pas cette fête- que pour alimenter les rumeurs.

Il y a un an

Kai avait ce don de rendre le silence pesant, sans qu’il n’y apporte beaucoup d’effort. Il ne faisait pas partie de ces gens qui se forçaient à discuter, s’il n’en avait pas envie, et de ce qu’il avait compris, Agnès n’était pas une grande bavarde non plus. Ce qui l’arrangeait bien, au final. Il n’aurait aucun scrupule à garder sa bouche fermée pour toute la durée de sa tâche. Non mais franchement, quelle idée de l’envoyer, lui, acheter des décorations pour halloween. Bon, il était plus que probable qu’il soit celui en charge de les installer, ces décorations. Et puisqu’il était un grand habitué du cirque, il pourrait approximer les quantités nécessaires pour chaque décoration. Mais c’était ainsi, il ne se faisait pas vraiment à cette fête, lui qui préférait honorer les morts, au lieu de se jouer des esprits. C’était le genre de valeur qu’il regrettait, qu’elle ait disparu avec les siècles. Soit. Kai monta à son tour dans la voiture, faisant tourner le moteur en un tour de main, attendant qu’Agnès soit bien attachée pour avancer. Le van fit son chemin entre les tentes et les caravanes, s’arrêtant parfois pour laisser passer les enfants et les autres artistes, qui portaient diverses boites. A chaque fois, il adressait un signe de la main à ceux qu’il n’avait pas encore vu de la journée, prêtant, finalement, peu d’attention à Agnès. Et bientôt, ils furent engagés sur la route principale, où il ne serait qu’une question d’une quinzaine de minutes, avant qu’ils n’arrivent jusqu’au zoning commercial.

Présent

Kai ne put que sourire, en entendant l’éclat de rire de la française. Vraisemblablement, il n’était pas le seul à apprécier la surprise. Carlos avait le don de taquiner les deux selkies, l’indonésien n’en doutait pas. D’ailleurs, il irait dire deux mots à l’homme de cirque, une fois qu’ils seraient de retour des courses. La panthère avait déjà remarqué les tendances des autres professionnels du spectacle, à avoir des petites remarques sur le rapprochement entre Agnès et lui. Il irait dire de ne pas leur donner plus d’eau à leur moulin, sinon, le pauvre homme à tout faire n’arriverait pas à défaire les bruits qui couraient… voulait-il seulement les défaire ? « Il faut croire qu'on a fait du bon boulot la dernière fois. » Kai grimaça, et démarra le véhicule pour couper court à ces pensées, s’élançant dans les routes de fortunes qui se formaient entre les tentes, laissant, comme à son habitude, passer ceux qu’il rencontrait, en saluant les membres du cirque, passant au-dessus le clin d’œil joueur d’un autre acrobate. « Tu veux dire, par la, que je m’étais contenté de te suivre au sommet de mon désespoir ? » l’asiatique se souvenait encore, sans problème, de la mine enjouée d’Agnès, l’année passée, quand elle avait appris qu’elle pouvait prendre ce qu’elle voulait. Kai n’irait pas faire son difficile sur les goûts de la française, qui étaient certainement meilleurs que les siens. «Alors oui, on peut supposer que c’était du bon boulot. » Il échappa un petit rire, s’engageant sur la route principale, son coude posé sur la fenêtre ouverte, tandis qu’il conduisait, tranquille. « Je te préviens que ça sera la même chose cette année. Tu choisis, je pousse le chariot. » Ca lui allait très bien ainsi, à Kai.